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Sur les chemins / Il est 7h59 le 3 Juin 2024

Publié le

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Aujourd'hui, je propose une nouvelle écrite il y a environ deux ans dans le cadre d'un atelier d'écriture. Il ne me semble pas l'avoir affichée ici.

 

Sur les chemins

 

C’est une histoire de chemins.

Nos routes départementales sont autant d’anciennes voies de passage, d’allées traversant bois et forêts, coupe-gorges hasardeux. Mon enfance campagnarde me fit arpenter ses sentes malaisées, par lesquelles nous rejoignions le lieu de nos mondes imaginaires. Les petits bois se transformaient en forêts impénétrables traversées de canyons sombres et inquiétants. Ils ont disparu ces chemins creux, refuges d’une bio-diversité sacrifiée sur l’autel de la mécanisation.

Sur les chemins déambulaient les anges vagabonds, les clowns lunatiques et les clochards célestes, à l’abri sous les frondaisons, qu’il pleuve, qu’il vente, avant que le soleil brûlant ne darde ses rayons, nous marchions.

Les vagabonds ne sont plus que des ombres dans ma mémoire. Quand je me promène aujourd’hui sur les chemins d’exploitation, il n’y a plus d’ombre protectrice ni de feuillages salvateurs, les clowns ne rient plus, et les anges se cachent au coin des nuages.

Il avait beaucoup plu. Le ruisseau débordait sur le chemin d’exploitation, créant un torrent qui allait à coup sûr envahir la cour de la ferme en contrebas. Le tracé de cette voie était une absurdité, il l’avait dit en son temps, mais personne ne l’écoutait. Le père François, ainsi qu’on l’appelait, avait mauvais caractère. Il avait le tort d’avoir souvent raison, seul contre tous. Dans les réunions communales, associatives ou du conseil municipal, il parlait haut et fort, sur n’importe quel sujet, on pouvait être sûr qu’il avait son mot à dire. Un jour, il ne vint pas. Comme il vivait seul et retiré dans son ancienne ferme, quelqu’un suggéra d’y aller voir, au cas où il lui serait arrivé malheur.

Il n’était plus tout jeune, il allait sur ces 85 ans, bon pied, bon œil cependant, mais il parut convenable d’envoyer un émissaire. Personne n’avait mis les pieds dans son domaine depuis longtemps, de peur de recevoir une volée de plombs ou de se faire accueillir par son chien, aussi mauvaise graine que lui, qui pouvait vous attraper le mollet et ne plus le lâcher. Deux frères se proposèrent :

  • Qu’est-ce qu’on risque, à deux, on rentre avec la voiture dans la cour et on appelle. S’il est vivant, il répondra, s’il n’est plus là, on vérifiera si le chien est dans les parages et on ira voir dans la maison.

L’assemblée présente acquiesça par quelques signes de tête et murmures approbateurs, trop heureuse de se débarrasser du problème.

  • Tu sais où il habite, le père François ? demanda l’un des deux frères au premier magistrat de la commune.
  • Ben, à vrai dire, je n’y suis jamais allé mais j’ai l’adresse postale puisqu’à la mairie, on lui envoie le bulletin communal. Bouges pas, je vais la chercher.

L’assemblée en ce jour était rassemblée dans une salle attenante au secrétariat, le maire fut de retour en quelques minutes.

  • Voilà : François Le Cam, Chemin des dames.
  • C’est tout ?
  • Que veux-tu de plus ? Il est tout seul. La plus proche habitation est celle de la mère Suzanne, à plus de cinq cent mètres et comme il est fâché avec elle. Allez voir, c’est un emmerdeur, mais c’est un vieux bonhomme, on ne sait jamais.
  • D’accord. René et moi, on te tient au courant.

Les deux frères quittent la salle. Il pleut toujours.

A la mairie de Saint-Francis, le téléphone sonne sans arrêt.

Marcel Barrault, le maire, est à bout de nerfs. La secrétaire, Elise Mercier, renvoie les coups de fil dans le bureau de l’édile municipal.

  • Elise ! Il faut que je m’absente. Les Commault ne peuvent plus sortir de chez eux, la route est coupée. J’appelle la DDE, j’ai la messagerie, rappeler plus tard qu’ils disent. Les Commault ont le tracteur dans le hangar et ils sont coincés dans la maison.
  • Et vous allez faire quoi ?
  • Je vais les chercher avec le mien. Ils ne peuvent pas rester, le chemin d’accès est transformé en torrent et menace directement l’habitation.
  • Faites attention à vous, et les pompiers ?
  • Injoignables. Appelez Christian et Jean, il y a les Roussel qui sont en mauvaise posture. J’y vais.

 

François Le Cam peste et tempête, raccord avec les éléments.

  • Nom de Dieu dit le vieux sur le pas de sa porte en voyant l’eau envahir sa cour. Je leur avais dit de ne pas creuser comme ça.

L’eau se répand et menace le logis du vieux bonhomme.

  • Il faut que je fasse quelque chose, marmonne l’ancien. Je ne peux pas rester à regarder. Quel désastre ! Quelle bande d’incapables !

Il réfléchit, regarde vers le hangar où se trouve encore un vieux Massey-Fergusson et sa fourche. De l’autre côté de la cour, un tas de cailloux et de vieux parpaings, vestiges d’un chantier jamais fini, plus de sous. L’idée a germé dans la tête de caboche.

  • Ca peut marcher se dit-il.

Il rentre dans la maison, prend le ciré, les bottes, fouille sur le tableau des clés dans l’entrée.

  • Où est-ce que je l’ai mise, je n’ai plus ma tête, vieillir est un naufrage disait le grand Charles, il avait bien raison, ah, la voilà.

La pluie se déchaîne avec plus de violence encore, le vent se met de la partie et surtout, l’eau monte dangereusement, ne s’écoule plus. Le plan est simple, en théorie. La théorie est un pays où tout va toujours bien, le pays des ingénieurs qui m’ont …

Sous le hangar, François Le Cam tente de grimper dans le tracteur, les deux marches sont bien hautes pour la vieille carcasse. Il jure et maudit la terre entière, se retourne, voit une chaise égarée, la prend, monte dessus et se trouve à la hauteur de la première marche, saisit la poignée et d’un coup de reins monte sur la deuxième, saisit le volant et s’écroule sur le siège.

  • Pffff !!! souffle le grand-père. Bon, il faut que tu démarres, je ne redescends pas avant

D’avoir fait le boulot.

La clé rentre difficilement dans son logis. Un tour à droite, le voyant s’allume. Le père Le Cam sourit. La vieille bête a toujours du jus. Un autre tour de clé pour lancer le moteur. La batterie est toujours d’aplomb, il n’en revient pas. Un crachotement nauséabond sort du pot d’échappement au-dessus de sa tête, le vent chasse les effluves, puis un autre, un cliquetis puis un ronflement, bruit mélodieux d’un vieux moteur.

Le Cam rigole tout seul sur son tracteur, heureux comme un gosse. Il regarde la jauge, c’est bon, la moitié du réservoir. Vas-y, merci, il parle à la machine. Allez, au boulot !

La manette de la fourche, à droite, au-dessus du levier de vitesses, fonctionne aussi. C’est son jour de chance. Le tracteur avance sous les éléments, au-dessus des flots. Il a son idée.

Une heure plus tard, le tas de cailloux et de parpaings a changé de place. Il pleut encore. L’eau dévale toujours du chemin creux, elle est déviée par le tas de gravats vers la gauche du hangar, quinze mètres de barrage ont suffi à éviter l’inondation de la maison.

François Le Cam a les traits tirés. Il regarde, hagard, le flot se déverser maintenant dans l’autre chemin qui descend vers la maison de la mère Suzanne. Il y pense tout à coup. Elle va avoir le même problème la vieille folle.

Et puis merde !

Non, il ne peut pas. Elle est quasi impotente.

La mère Suzanne voit de sa fenêtre arriver le flot déchainé.

Elle a peur. Elle a téléphoné aux pompiers, ça sonne occupée.  A la mairie aussi…

Elle est montée à l’étage, a allumé la lumière extérieure. Le spectacle de l’apocalypse en direct. Elle ne croit pas en Dieu et toutes ces conneries, mais l’idée qu’elle se fait de la fin du monde ressemble un peu à ça. Elle entend un sinistre craquement et voit le vieux châtaignier creux se coucher sous les coups de vent, dans l’autre chemin, à gauche du hangar, là aussi. C’est la même disposition qu’au- dessus, chez Le Cam. Pourquoi la flotte arrive-t-elle chez elle ? C’est l’autre. Il a dû faire quelque chose, une vraie teigne ce bonhomme.

Le résultat ne se fait pas attendre, l’eau ne s’écoule plus dans le chemin, l’arbre couché l’obstrue, et l’eau envahit la cour bitumée.

Elle entend un bruit de moteur et voit la lumière des phares. Un tracteur descend par le chemin, au milieu des flots. C’est Le Cam, qu’est-ce qu’il fait là ?

Le Cam est en effet descendu par le chemin. Ca a tangué sérieusement, à droite, à gauche, la fourche a accroché des branches basses. Trois cent mètres dans le vacarme, la machine fume, la pluie se transforme en vapeur au contact du moteur, et ça glisse terriblement, aucune adhérence dans ce mélange de boue et d’eau en mouvement. Le tracteur débouche dans la cour.

Et maintenant, il va faire quoi, le vieux fou ?

Le Cam regarde à gauche et voit le problème : le châtaignier empêche l’eau de tracer son lit et menace d’inonder la maison de la mère Suzanne, la mère tape-dur est montée à l’étage, elle a bien fait. Je suis là, je fais le boulot. J’espère que la fourche va tenir.

Il s’engage dans le chemin, au niveau de l’arbre, glisse la fourche sous le tronc de l’arbre qui, dans un premier temps, refuse de bouger. La machine progresse par à-coups, décoince petit à petit les branches enchevêtres. Il faut dégager le tronc, les branches seront réduites par les éléments qui n’en finissent pas de se déchaîner. Un chevalier sous l’apocalypse, Suzanne regarde la scène, comme à la télé. Le tracteur est en travers du courant, l’eau arrive presqu’au moyeu de la roue arrière, l’adhérence est limitée, la roue arrière dérape, la machine avance de nouveau, marche arrière, un craquement sinistre, les branches cèdent une à une, la fourche réapparaît, le tronc bien accroché. Le Cam manœuvre et pose le tronc en travers, face à la maison, déviant le flot vers le chemin. Il repart dans le flot afin de broyer les branches et dégager les plus grosses.

Un signe de la main à Suzanne, qui lui répond, et il rentre par la route. C’est un peu plus long mais ce serait dangereux de remonter le chemin, le tracteur pourrait se retourner.

 Il arrive sans encombre et gare son engin sous le hangar. Le vent s’est calmé. La pluie tombe toujours, droite et drue. Mon barrage tient toujours. Le chemin est devenu une rivière.

Il habite à mi-pente. Les sources qui alimentent les ruisseaux sont juste au-dessus, sur les hauteurs. Les pluies des derniers jours ont grossi ceux-ci et comme il n’y a plus rien pour absorber le trop-plein, voilà ce qui se passe, ça déborde. Plus de talus, des chemins d’exploitations empierrées, à cause des machines agricoles, trop lourdes, qui s’embourbent.

René et son frère Patrick sont arrivés non loin de là. Il n’y a pas de panneau indiquant le chemin des dames. La fin d’après-midi est là, il fait nuit.

  • Voilà un chemin qui donne sur la route, ça doit être par là.

René engage sa Clio dans le passage et avance doucement. La buée sur le pare-brise le gêne un peu, rien de grave.

  • I l y a de l’eau sur la voie marmonne Patrick, les yeux écarquillés.
  • Je vois bien, gros malin mais c’est par là, je reconnais. Ils ont enlevé les talus depuis.
  • Justement, plus de talus et l’eau qui passe…
  • Tais-toi donc, tu me déconcentres
  • Ce que j’en dis…
  • Ne dis rien, tu m’ennuies

Les deux frères se disputent tout le temps. La voiture avance bizarrement, Patrick le sent bien, ne dis rien, de peur de se faire engueuler. Elle fait une embardée, René appuie à fond sur le frein, rien n’y fait.

  • Nom de D …, le ruisseau des Aulnays !
  • Ce n’est pas un ruisseau, c’est une rivière. La voiture se retrouve en travers.
  • Fais quelque chose gueule Patrick, terrorisé en voyant son frère tourner le volant dans tous les sens, sans résultat.

La voiture est désormais hors de contrôle, la pente se fait plus raide, l’eau s’engouffre dans le chemin, la voiture est ballotée par les flots, les phares éclairent de manière chaotique les talus qui frôlent la voiture. Celle-ci heurte violemment une souche et se retrouve en marche arrière.

  • Je t’avais dit qu’il ne fallait pas aller par-là, t’écoutes jamais rien ! on va crever là, noyés …
  • Ah ! la ferme

Le moteur cale, les phares s’éteignent. Le bruit infernal de la carrosserie raclant les talus vrille les tympans, une branche bloque le véhicule qui penche dangereusement sur le côté, un bout de bois à la dérive redresse le véhicule qui poursuit sa course folle.

Les deux hommes distinguent une lumière, le véhicule vient s’échouer sur le tas de cailloux du père Le Cam.

  • C’est là ? demande Patrick
  • Ben, je crois bien que c’est lui qu’on voit dans le hangar, près du tracteur. Il a l’air de rigoler.
  • Je ne vois pas pourquoi, rien de marrant à se retrouver cul par-dessus tête.
  • Pour lui, si.
  • Je ne comprends pas…
  • C’est normal
  • Dis que je suis con.
  • Non, limité. Bon, on sort de là. Il a l’air d’aller bien, pas de souci. Qu’est-ce qu’on est venu faire ici, bon sang ? Non, mais, regarde la bagnole.
  • Alors, les gars, on se promène demande Le Cam. Allez, rentrez au sec, on n’est pas des chiens

Les deux gars s’extraient du véhicule qui ne ressemble plus à grand ‘chose. Une fois rentrés, les deux hommes sont trempés.

  • Approchez-vous du feu, vous sécher, vous allez attraper la mort dit le vieux. Qu’est-ce qui vous amène ? Vous venez voir si le père Le Cam est toujours de ce monde ?
  • Un peu ça, oui. On ne vous a pas vu à la réunion du comité.
  • Quel comité ?
  • Le comité des fêtes. Il y avait une réunion cet après-midi.
  • Pas au courant, le maire m’aura oublié. M’en fous, de toutes façons, je n’y vais plus aux fêtes, plus de mon âge. Et puis, avec cette histoire de chemins, ça m’a mis en pétard.
  • Ah ?
  • Ca vous a pas suffi, votre promenade ? Vous n’avez toujours rien compris ? Vous êtes bouchés ou vous le faites exprès ? Les chemins, ceux de traverse, ceux d’exploitation, et les autres sont devenus de véritables dangers publics et vous savez quoi ? Vous pouvez appeler le maire pour lui dire que je suis toujours vivant et que vous, vous avez failli y passer à cause de leur remembrement, de tout raser, les talus, les arbres qui gardent la flotte quand il pleut comme aujourd’hui. Et ces idiots, ils creusent les chemins creux, histoire d’attirer l’eau, qui n’en demandait pas tant.
  • Ne vous fâchez pas, on dira au maire que vous êtes bien portant et la mère Suzanne ?
  • Suzanne ? Elle a eu droit à l’inondation, je suis descendu avec le tracteur, histoire d’enlever un arbre descendu par la tempête, qui bouchait un autre chemin. Ou croyez-vous qu’elle aille l’eau ?
  • Sur les chemins, litote dérisoire, ainsi s’achève mon histoire.

Gilles COCHET

 

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